Exposition Jordi Colomer au Jeu de Paume !

Du 26/11/2008

Exposition Jordi Colomer au Jeu de Paume !

L’œuvre vidéo et photographique de l’artiste espagnol Jordi Colomer s’installe au Jeu de Paume jusqu’au 4 janvier 2009. Dès la première rencontre, les personnages de Colomer nous invitent dans un espace et un temps parallèles, empreints de mystère. Eddy, un vieil homme aux gestes énigmatiques, vient se placer devant la caméra, dont le cadre est figé sur une ancienne salle de cinéma de La Havane. En une succession rapide d’images fixes (le principe du stop motion est récurrent chez Colomer) le personnage nous raconte une histoire qu’on ne peut recevoir, faute de son, et nous joue un tour de cartes, puis disparaît comme il est arrivé. On aperçoit alors, à l’arrière-plan, le titre du film joué dans le cinéma : il s’agit d’un film d’épouvante, L’exorcisme d’Emily Rose (Scott Derrickson, 2005). Cette double présence fantomatique nous introduit dans l’univers scénique de Colomer, où les narrations fragmentaires se jouent souvent dans l’entre-deux du décor de spectacle et de l’architecture du réel. Ancien étudiant en architecture, passionné de théâtre, Colomer met en scène non seulement ses personnages mais les lieux mêmes qui participent par leur instabilité (il s’agit souvent de constructions éphémères ou de lieux voués à l’abandon) à l’aspect fragile et onirique de l’œuvre. Dans le film 2 Av le travelling saccadé le long des façades un peu mornes de la cité ouvrière fonctionne à nouveau sur le principe du stop motion ; les maisons et les activités de leurs habitants défilent par à-coups. L’absence de fluidité semble faire de ces images des clichés de mémoires instantanées : une sensation de déjà-vu. Les ruptures répétées dans l’enchaînement des images pourraient être une métaphore visuelle, une parcellisation du flux d’images, comme sont parcellisés les jardins, lieux où se déroulent les histoires personnelles et familiales des groupes filmés. La porosité entre l’espace privé et l’espace public se joue chez Colomer sur un mode surréel où l’humour et l’ironie ne font pas défaut : la Babelkamer est une sorte de roulotte aménagée où prennent place des dialogues à plusieurs langues, sous le regard voyeur des passants. Le module de la chambre blanche où l’on voit la vidéo Simo : une femme aux proportions hors norme se livre à d’étranges archivages d’objets sous le regard hypnotisé d’une camera-pendule. Dans les deux cas, ce sont les lieux mêmes qui semblent provoquer chez leurs habitants des comportements particuliers, s’élisant de cette façon en espaces à part, en refuges hors des règles sociales. Les espaces que l’artiste nous donne à voir à travers ses vidéos et photographies accueillent en un seul lieu des espaces-temps incompatibles. Ainsi les acteurs improvisés des vidéos En la Pampa, en s’essayant à habiter cette « rase campagne » dont l’errance « est évidemment déprimante », évoluent à travers le désert en discutant musique, lavent leur voiture dans un cimetière poussiéreux, jouent à la balle là où ils devraient s’inquiéter de leur sort. Il y a dans ces mises en scène le souvenir du concept d’errance chère au situationnisme et à Guy Debord (que citent les personnages du film), lui-même marqué par les hallucinations narrées dans Les Confessions d’un mangeur d’Opium anglais par Thomas de Quincey. Dans les performances filmées d’Anarchitekton, cette superposition des lieux et des décors est ressentie davantage. Un personnage erre à travers les paysages des grandes villes, qui porte sur lui, en forme de maquettes en carton, les immeubles mêmes que l’on aperçoit à l’arrière-plan. Le jeu entre les plans, le jeu d’architecture mouvante, le jeu de construction sont toujours à l’œuvre dans les fictions de l’artiste et dans la scénographie de l’exposition même, où les espaces dédiés aux projections sont des simples empilements de carton et des structures en bois brut. Encore une fois, l’envers du décor est visible et agit comme un sas entre la réalité du lieu et les fictions qui s’y jouent.

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