Stéphanie Pillonca, réalisatrice du film "C'est toi que j'attendais", se livre sur le tournage de ce film documentaire

Stéphanie Pillonca, réalisatrice du film "C'est toi que j'attendais", se livre sur le tournage de ce film documentaire

Stéphanie Pillonca, réalisatrice du film "C'est toi que j'attendais", se livre sur le tournage de ce film documentaire

Stéphanie Pillonca, bonjour comment est né le projet de C’est toi que j’attendais ?

SP : Ce film est né de la rencontre avec Astrid de Lauzanne qui m’a un jour raconté son parcours dans l’adoption, et m’a fait part de son envie d’en faire un film. J’ai trouvé que c’était une idée formidable, qui a immédiatement trouvé une résonance en moi, car le thème de l’adoption m’a toujours accompagnée. Lorsque je suis devenue mère, il y a dix-huit ans, beaucoup d’amies autour de moi, notamment une amie très chère, le sont devenues par le biais de l’adoption. C’était donc un sujet très présent dans mon environnement immédiat. J’ai été très touchée quand cette amie m’a raconté la visite chez elle du travailleur social, j’ai beaucoup entendu parler de ces questions d’agrément ou de conseil de famille… J’ai ensuite vu grandir ces enfants adoptés.

L’adoption reste-t-elle un phénomène répandu en France ?

SP : On adopte beaucoup moins aujourd’hui que dans les années 70 ou 80, tout simplement parce qu’il y a de moins en moins d’enfants à adopter : de nombreux pays étrangers ont changé leurs règles et de moins en moins d’enfants naissent sous X. En parallèle, la PMA se développe, et je suis bien sûr favorable à son extension à toutes les femmes. Mais l’adoption reste une belle démarche de générosité et de partage, et la seule solution pour ceux pour lesquels la PMA ne fonctionne pas. On peut juste déplorer que ce parcours soit aussi long et difficile.

Pourquoi avoir choisi d’entremêler quatre trajectoires personnelles : deux couples adoptants, une femme qui a accouché sous X et un homme né sous X ?

SP : Je ne pouvais pas traiter de manière unilatérale un sujet aussi sensible que celui-ci. Je suis autant touchée et passionnée par la femme qui accouche sous X que par le garçon qui recherche sa mère, que par les couples qui veulent adopter. Je tenais donc à intégrer tous ces points de vue pour être à la hauteur de cette problématique, en appréhender toutes les facettes.

Au générique, il n’est pas écrit « un film de… » mais « une enquête de… ».

SP : Avant d’être un scénario et une réalisation, ce film a vraiment été une enquête, qui a demandé une très longue préparation. J’ai lancé beaucoup de pistes pour trouver mes protagonistes, notamment sur les réseaux sociaux. Et je me suis baladée dans toute la France pour rencontrer des couples qui voulaient adopter, des jeunes filles qui avaient accouché sous X, des personnes nées sous X… Au final, j’ai rencontré 400 personnes en amont pour faire ce film.

Parmi elles, comment avez-vous choisi les protagonistes de ces quatre trajectoires ?

SP : La douleur existe chez toutes les personnes qui recherchent leurs origines ou sont dans des problématiques d’adoption, mais je cherchais des personnes apaisées, capables de la surmonter dans le cadre de ce film. Quand vous déboulez dans la vie de quelqu’un avec votre caméra, même si vous n’êtes qu’une petite équipe de trois personnes, la mise à nu peut être très perturbante. Mes protagonistes étaient fragilisés par des problématiques à fleur de peau, j’étais donc très vigilante à ne pas bouleverser davantage leur vie.

Comment avez-vous trouvé Sylvian, né sous X et qui recherche sa mère ?

SP : Tous les nés sous X qui cherchent les traces de leur famille biologique vont sur les réseaux sociaux. Le terrain de recherche est là, des retrouvailles spectaculaires s’y produisent. J’ai donc tapé #né sous X sur mon ordinateur, puis rencontré une centaine de personnes, parmi lesquelles Sylvian, dont j’ai trouvé extraordinaires le courage, la pudeur, la dignité et la sensibilité. Toutes les bouteilles à la mer qu’il jetait sur internet me bouleversaient. Je trouve son histoire folle : sa mère qui fait 500 kilomètres toute seule en 1971 pour accoucher sous X, arrive à Chartres, veut rester dix jours dans la maison maternelle parce qu’elle ne supporte pas de devoir quitter son enfant… Cette jeune femme se cachait de qui, de quoi ? J’ai eu envie d’aider Sylvian à en savoir plus. Et je l’ai senti très disposé à parler, à aborder notamment sa peur de l’abandon, son impossibilité à être seul. Père de deux adolescentes, métis, partagé entre deux mondes, Sylvian est également un grand sportif que je suis partie filmer au marathon Marseille-Cassis alors même qu’on n’avait pas encore de financement pour le film ! Sylvian est le premier des protagonistes que j’ai choisi.

Et Alexandra, la femme anglaise qui a accouché sous X adolescente, il y a trente ans ?

SP : J’ai rencontré beaucoup de « mères de l’ombre » mais je n’arrivais pas à trouver celle qui puisse se livrer sans impacter sa vie et son environnement immédiat, sans se mettre en danger d’un point de vue psychique. Et puis il y a eu la personne providentielle, qui est venue à moi. C’est souvent comme ça dans les documentaires, les choses se passent miraculeusement : une amie m’a parlé d’une amie, qui avait un secret… C’était Alexandra. Avec Alexandra, j’aimais la barrière de la langue, qui mettait un petit filtre entre elle et moi, entre elle et nous, entre elle et ce qu’elle allait nous livrer. Le fait de faire ce chemin de l’autre côté de la Manche pour aller la retrouver me donnait l’impression de la protéger un peu, de ne pas brutalement livrer son secret. Il y avait l’Angleterre entre nous, et sa maturité. Alexandra n’est pas abîmée, elle livre sa douleur mais toujours avec beaucoup de retenue. Ça a été un cadeau pour le film.

Et les deux couples qui cherchent à adopter ?

SP : Là encore, j’ai posté beaucoup d’annonces sur les réseaux sociaux, me suis promenée dans toute la France, ai organisé nombre de goûters, de thés ou d’apéros avec des couples qui voulaient adopter. Et l’Espace Paris Adoption a bien voulu diffuser un mail de moi auprès des 600 personnes inscrites chez eux, où j’expliquais que je préparais un film sur l’adoption et que je voulais suivre le parcours d’un couple qui avait fait sa demande d’agrément – comme Enora et Gilles – ou qui l’avait déjà obtenue mais attendait à présent un enfant – comme Lucile et Franck. Lorsque j’ai rencontré Franck et Lucile, j’ai eu le sentiment d’un couple très soudé par les épreuves douloureuses qu’ils avaient vécues… Cela requiert une cohésion d’accepter d’être filmé comme ça et je les ai sentis tous les deux solides, très perméables à ce qui se passe autour d’eux. En ce qui concerne Gilles et Enora, j’aimais leur mixité : ce grand Marseillais avec des origines des îles et cette Bretonne, « condamnée » dans son premier couple par cet homme qui l’a laissée parce qu’elle ne pouvait pas donner la vie. J’aimais filmer l’idée que tout peut recommencer à 35 ans et que cette femme avait la maternité devant elle ! J’aimais aussi la réticence d’Enora à participer à ce film. J’ai rencontré beaucoup de couples qui, à mon avis, voulaient être filmés pour se montrer exemplaires afin d’avoir l’agrément. Ce n’était pas du tout l’esprit de mon film, ni d’Enora, qui a un très fort tempérament et ne fait jamais semblant. Au final, j’ai vu 200 couples, dont une centaine acceptait de participer au film. J’ai dû en choisir deux, sans savoir si l’un allait obtenir l’agrément et si l’autre allait recevoir un appel pour un bébé… Je ne savais pas non plus si Alexandra allait retrouver son fils. Et Sylvian sa mère... J’ai mis tout en place pour avoir des possibles situations heureuses, prolifiques et riches mais il y a une part que je ne pouvais pas maîtriser et qui n’appartenait à personne.

Vous êtes en grande intimité avec tous vos protagonistes mais savez aussi prendre de la distance, leur donner l’espace pour ne pas voler leur émotion.

SP : Dans un documentaire de création comme celui-ci, on n’a pas l’impératif d’accumuler de l’information vite et à tout prix. On est plus serein : j’arrive, on se jauge, on prend le temps de se connaître. Et je ne tourne que lorsque les gens sont prêts. Je ne veux pas être celle qui les vole ou réceptionne leur parole, je veux qu’ils se livrent comme on pourrait se livrer à un parent ou un ami, librement, en âme et conscience. J’ai besoin que le plaisir à faire le film soit égal de part et d’autre. Quand on a ce postulat de départ, fraternel et bienveillant, de vouloir partager des moments, de se dire des choses qui comptent, qui ont du sens et de la valeur dans nos vies, les films deviennent de grandes histoires d’amour. On n’est plus dans l’information mais dans un cœur à cœur.

Vous n’intervenez pas à l’image, on ne vous entend pas poser de questions.

SP : Ma place est tapie dans l’ombre. Je travaille avec une petite équipe chevronnée, avec laquelle j’ai fait mes autres films. Nous formons un trio soudé, il nous suffit de nous regarder pour nous comprendre, et nous veillons à être le moins invasif possible. A partir de là, les protagonistes peuvent s’habituer à notre présence, même lorsqu’ils nous confient des choses intimes ou vivent des moments cruciaux.

Vous ne faites pas non plus de commentaires off…

SP : Pour que je garde une séquence que j’ai tournée, il faut que je sois émue. Je pose donc un premier filtre sur ce que je filme. A partir de là, je ne veux pas imposer des informations, commenter la situation pour diriger l’émotion du spectateur.

La mer, les arbres, les racines des arbres… La nature a aussi sa place dans le film.

SP : On partage des choses tellement lourdes avec les protagonistes que ces échappées permettent de respirer un peu. La solidité de ces arbres, de ces troncs, de ces racines tellement tentaculaires… Tout cela s’imposait dans un film où il n’est question que des racines ! Et quand Sylvian se recueille sur la tombe de sa mère, on a l’impression que les cyprès dans le vent l’accompagnent, qu’ils essaient de le bercer, crient avec lui.

Lucile et Franck sont fous de joie d’avoir un enfant mais vous laissez la place aux doutes et aux angoisses, notamment quand Lucile comprend que Rosalie aura accès dès qu’elle le désire à la lettre et l’identité de sa mère biologique…

SP : On sent alors une véritable tempête sous le crâne de Lucile. Elle sort son calepin et son stylo, elle fait répéter la question, elle n’a plus le même visage. Elle le savait pourtant depuis longtemps, il y a eu dix mille réunions où on leur a tout expliqué. Mais avait-elle bien mesuré que même mineure, leur fille pourra avoir accès à cette lettre, que ce moment va arriver, que forcément les questions seront posées ? C’est aussi ça, être parent, a fortiori dans cette forme de parentalité : vous n’êtes pas toute votre vie avec un joli bébé qui gazouille. C’est une personne qui va grandir, faire des rencontres, affronter des difficultés, connaître la part d’inattendu que comporte toute vie. Pour moi, c’est à ce moment-là que Lucile devient vraiment mère.

Votre caméra voit avant Lucile et Franck le bébé qu’ils vont adopter.

SP : C’est vrai. J’ai vu leur bébé avant eux. Ils le savaient, ils m’en avaient donné la permission, mais je ne leur ai rien raconté de cette période, ils l’ont découverte en voyant le film. Lors d’une adoption, tout un protocole est mis en place. Il ne faut pas l’enrayer car il a été très bien pensé par les services sociaux : rencontres avec l’assistance maternelle, avec la puéricultrice, la psy… Ces dix jours d’attente et de découverte sont comme une grossesse en accéléré. Je marchais donc sur des œufs pour ne pas être le grain de sable qui interfère mais j’étais heureuse de filmer Rosalie dans sa vie « d’avant », avec Rachel, sa puéricultrice, qui lui a donné son premier bain, qui a été la première à veiller sur elle. On voit aussi le travail que cela demande à cette femme de se détacher de ce nourrisson.

Comment s’est organisé le temps du tournage ?

SP : On a tourné de septembre à juin, trois ou quatre jours tous les mois, en suivant les uns ou les autres en fonction de leur calendrier. On a suivi les vacances de Gilles et Enora par exemple, la visite d’Enora à son père et leurs rendez-vous avec les travailleurs sociaux. Pour Lucile et Franck, on a été les heureux tributaires de ce bébé qui leur est soudainement arrivé, puis de ce protocole à suivre… On a été totalement disponibles, tout le temps, pour tout le monde.

Pourquoi avoir ouvert le film sur un accouchement ?

SP : Cette naissance est l’essence du film. Elle est le nœud de toutes ces trajectoires, ce pour quoi tous les protagonistes se mobilisent, s’exaltent ou souffrent.

Au montage, comment s’est élaboré l’entremêlement de ces quatre trajectoires ?

SP : J’ai monté les quatre histoires chacune dans leur continuité et ensuite j’ai cherché au mieux à les équilibrer et à créer du suspense, un peu comme dans un thriller : à quel moment quitter l’une des trajectoires pour garder la tension dramatique et repartir sur une autre que l’on est heureux de retrouver pour savoir où en sont ses protagonistes ? Je voulais arriver à un montage où l’on a toujours soif de retrouver chaque famille. C’était aussi important que les trajectoires se fassent écho. D’une certaine manière, Alexandra répond aux questions de Sylvian quand elle raconte que tous les jours, elle pense à son fils. Et enfin, il y avait la question de savoir sur quoi on termine le film : sur une vie qui s’arrête, une vie qui continue, des retrouvailles, un homme qui cherche, un bébé qui rentre chez lui ?

Et la présence d’Aurélie Saada des Brigitte dans la bande originale du film ?

SP : J’ai travaillé avec mon compositeur habituel, Martin Balsan. Mais comme Enora m’avait dit que pour faire comprendre à Gilles ce qu’elle ressentait, elle lui avait envoyé Je veux un enfant des Brigitte, nous avons avec mon producteur demandé à Aurélie Saada si elle pouvait accompagner certains moments du film et chacun des protagonistes avec une chanson. Aurélie est une poétesse d’une grande féminité, avec une fibre maternelle forte, un rapport très sacré à la vie. Dans ces chansons, ce sont ses mots à elle, inspirés de ce qu’elle a ressenti par rapport à ces personnes. Je n’ai pas voulu m’immiscer dans sa création et elle a travaillé en amont sur ce que je lui racontais, bien avant de voir les images. Elle a vraiment participé à l’élaboration du film.

« L’amour, c’est la solution ». Ce tag que vous filmez au détour d’une balade avec Lucile et Franck pourrait bien résumer C’est toi que j’attendais, qui montre des couples qui continuent à s’aimer malgré les épreuves…

SP : C’était important pour moi de montrer le dépassement humain grâce à cette soif de parentalité, ce désir impérieux de créer une cellule familiale, de donner un sens à leur vie à travers un enfant qu’ils ont envie de protéger et d’élever, auquel ils ont envie de transmettre ce qu’ils ont reçu de leurs propres parents, avec lequel ils ont envie de partager, poursuivre une lignée… Ce désir, commun à tous les couples, adoptants ou pas, est-il le fruit d’un héritage, d’une éducation, d’une pulsion viscérale profondément ancrée en nous ? Il est bien évidemment mis plus à l’épreuve pour les couples adoptants qui doivent se battre là où d’autres n’ont pas à le faire… Beaucoup de femmes disent, et j’y souscris pleinement, que la maternité n’est pas un accomplissement, mais nous sommes tous mus par le désir d’appartenir au monde et de trouver qui nous a permis d’y atterrir : savoir d’où l’on vient pour savoir qui on est.

Faire ce film a-t-il changé votre vision de l’accouchement sous X et de l’adoption ?

SP : C’est le droit absolu d’une femme d’accoucher dans le secret. J’ai rencontré une centaine de « mères de l’ombre » pour faire ce film, aucune n’a affirmé avec véhémence qu’elle ne voudra jamais savoir ce qu’est devenu son enfant, que jamais elle ne voudra être retrouvée, que le secret doit être gardé envers et contre tout. Il en existe sûrement mais je n’ai pas croisé leur chemin. Elles ont juste eu l’impulsion de confier leur enfant à une famille qui pourrait l’élever dans des conditions bien meilleures qu’elles n’en étaient capables physiquement, psychologiquement, économiquement à l’époque… En France, on est très en retard sur la question de l’accès aux origines des enfants nés sous X … On n’a pas le droit de faire de tests ADN, on a même menti à des gens au sujet de leur lieu de naissance. Je trouve honteux de brouiller ainsi les pistes comme ce fut le cas pour Sylvian. Heureusement, les vieilles lois sont en train de bouger, beaucoup de penseurs ou de philosophes militent pour que le secret soit levé. L’enfant ou l’adulte qui cherche sa mère biologique n’est en général ni belliqueux, ni revendicatif. Il veut juste savoir. Chez tous les nés sous X que j’ai connus, il y a un cœur d’enfant qui aime ses parents, quoi qu’il arrive.

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Crédit photo : Carlotta Forsberg