Lionel Cecilio, un véritable passionné de théâtre, "j’ai parfois l’impression d’atteindre la sensation d’une trans quand je suis sur scène"
Lionel Cecilio, un véritable passionné de théâtre, "j’ai parfois l’impression d’atteindre la sensation d’une trans quand je suis sur scène"
Bonjour Lionel Cecilio, vous êtes en ce moment à l’affiche de votre spectacle « Voyage dans les mémoires d’un fou », spectacle touchant et bouleversant. Racontez-nous comment vous est venue cette idée ?
L.C : Après "Monologue pour les vivants" et "Suite Royale 2026 ", l’idée d’écrire un troisième "seul en scène" m’a tout de suite traversé l’esprit. Même si je me sens très chanceux de pouvoir travailler dans des spectacles avec d’autres comédiens, (comme sur Aladin par exemple où nous sommes 9) j’ai toujours au fond de moi un amour particulier pour cet exercice à part, en prise direct avec le public, et une irrépressible envie de dire mes propres mots.
Et comme je suis bavard, j’ai toujours quelque chose à dire. (ahah) C’était ça mon problème d’ailleurs. Le monde dans lequel on vit me secoue dans tous les sens, j’avais envie d’aborder tant de sujets qu’il me semblait difficile de trouver un axe cohérent pour donner du corps et une unité à un spectacle. Et puis, alors que tous ces sujets commençaient doucement à se côtoyer dans ma tête j’ai enfin trouver un prisme par lequel ils pourraient, de manière cohérente, s’articuler dans un même sens et pour servir un seul et même propos : " Notre monde est fou ".
L’idée m’est venu en donnant une lecture publique de « les mémoires d’un fou » de Gustave Flaubert. Tout d’un coup, tout prenait forme, il s’agissait de donner un instantané du monde en posant sur le papier les mémoires d’un personnage qui finiraient par en dire plus sur le monde dans lequel il vit que sur lui-même. C’est le mécanisme qu’emploie Flaubert dans son roman. Et c’est ça qui m’a séduit et qui m’a ouvert les yeux sur le chemin d’écriture que je devais prendre.
Le seul en scène est tellement devenu un exercice où chacun se raconte avec plus ou moins de pertinence que je trouvais la pirouette géniale. Prétexter de parler d’un personnage pour finalement parler du monde, c’est à dire du public. Ils viennent pensant regarder par le petit bout de la lorgnette la vie d’un personnage, et finalement ils se voient eux dans un effet de miroir qui les renvoie à leurs propres expériences.
Dans ce spectacle les décors, les lumières, votre jeu. Tout est mis en scène de manière très intime. Le spectateur est plongé dans votre vie privée dans votre intimité. Pourquoi ce choix ?
L.C : Alors, pas du tout. Le spectateur n’est pas du tout plongé dans ma vie privée ni dans mon intimité. Il est plongé dans l’intimité du personnage principal. C’est une nuance mais elle a une grande importance. En revanche oui, vous avez raison, tout est pensé pour créer de l’intimité. La mise en scène, le jeu, le décor, les lumières, comme vous dites. Mais pas la mienne, celle d’un personnage fictif.
Alors évidemment il y a dans ce personnage principal comme dans la dizaine d’autres personnages que j’interprète dans ce spectacle , un peu de moi, mais au même titre qu’il y a un peu de tout un tas de gens que j’ai croisé… Mes inspirations sont diverses et variées mais évidemment elles ont toutes été filtrées par ma sensibilité avant de sortir ainsi sur le papier puis sur scène.
Pourquoi le choix d’une telle intimité, pourquoi rentrer à ce point dans les failles du personnages… parce qu’il n’y a que les failles qui m’intéressent. Je ne suis pas un homme de réponses. J’ai beaucoup plus de questions en moi que de réponses. Mais c’est là qu’on les trouve les réponses, dans l’intime. Mettez un homme au pied du mur, fouillez ses entrailles, allez au fond de ses tripes et vous trouverez des réponses. C’est ce que j’ai fait avec mon personnage. Et puis c’est là qu’on trouve toutes les plus belles émotions aussi, là, à la frontière entre l’urgence et le bilan. J’ai condamné mon personnage à mort avec cette maladie pour lui donner un côté universel dans lequel chaque spectateur pourrait se reconnaitre car oui c’est incroyable de le penser comme ça mais nous sommes tous condamnés à mort, depuis notre toute première prise d’air à la maternité. Mais nous n’y pensons pas, nous vivons comme s’il y avait quoi qu’il arrive toujours un lendemain. Mais ce n’est pas une évidence. Et quand tout à coup on en prend conscience on a soudain une folle envie de vivre. Je condamne mon personnage pour que sa folle envie de vivre jaillisse avec l’espoir qu’elle soit contagieuse. Je le condamne pour me sauver à travers lui, je le condamne avec l’espoir de sauver certains spectateurs à travers lui…
Cela doit demander beaucoup de répétitions et beaucoup de concentration. Comment sont les répétitions ?
L.C : Oui c’est un spectacle exigeant. C’était voulu. Je n’aurai pas pu monter sur scène, seul, avec un tel propos, si je n’avais pas été certains de proposer une travail abouti et ciselé… En tous cas au maximum de ce que je peux et de ce que je sais faire.
C’est très particulier, limite présomptueux de monter seul sur une scène et de monopoliser l’attention des spectateurs durant plus d’une heure en ayant au fond de soi l’espoir qu’ils trouvent dans nos propos de la pertinence. Faut être à la hauteur de cette promesse. Moi, c’est mon angoisse. Je me dis que tout le reste c’est subjectif, ça plait, ça plait pas, c’est la vie et c’est surtout une histoire de rencontre entre mon univers et celui du spectateur; Mais toute la partie objective, le travail, là-dessus je n’ai pas le droit à l’erreur. Je dois sortir de scène chaque soir en étant convaincu que j’ai donné le meilleur de moi même, dans le jeu, dans la mise en scène, dans l’écriture. Et puis c’est aussi une manière pour moi de me dire que je suis à la hauteur du travail des autres protagonistes de ce spectacle, Johanna Dilolo aux lumières, Lucien Pesnot aux musiques, Sylviane Bauer-Motti aux chorégraphies. J’ai la hantise de trahir la confiance de tous ceux là. J’ai besoin d’être le plus exigeant possible avec moi-même pour être sûr de trouver dans ce travail et cette exigence une toute petite once de légitimité à proposer ce que je propose.
Du coup les répétitions sont studieuses et drôles. J’ai besoin de me marrer pour exorciser, alors j’évacue tout par la vanne. On se marre beaucoup avec Flavie Silvestre qui m’aide pour la direction d’acteur. Elle est ce qu’on appelle au théâtre mon troisième oeil. J’adore cette expression. J’aime l’idée qu’elle soit mon regard extérieur, qu’elle me guide à chaque endroit où je me sens aveugle.
D’ailleurs je profite de ce moment où j’évoque cela pour saluer Slimane Kacioui, Laura Bensimon et Emilie Le Canu qui ont tous les trois tour à tour donné de leur vista et de leurs talents pour me guider au moment de la création du spectacle.
Parlez-nous de ce personnage que vous interprétez.
L.C : C’est étrange de parler de lui. D’ailleurs c’est drôle on ne me le demande jamais. On me parle de tous les autres personnages qui prennent vie dans sa mémoire, tous ces autres personnages que j’interprète et qui sont drôles et croustillants et qui sont souvent des caricatures avec des accents etc… Mais lui qui touche à la vérité et à la poésie on ne m’en parle jamais. Je l’aime. Il est tout ce que ce monde bannit et en le créant je lui ai autorisé à être tout cela sans complexe. Je lui ai autorisé tout ce que je ne m’autorise pas. Je l’ai créé de toutes pièces. Je l’ai voulu en décalage total avec ce que le monde plein de clichés aurait attendu de lui à priori. Il a une vingtaine d’année et il est poète, il aime les mots, il en joue tant et tant qu’il s’amuse aussi de jeux de mots drôles. Il aime rire, il aime observer, il aime prendre sont temps et par dessus tout il adore s’ennuyer. Aujourd’hui on a plus le droit de s’ennuyer. C’est même mal vu, ça a un caractère négatif. Faut toujours avoir quelque chose à faire. Faut toujours avoir un écran devant les yeux. Lui il adore s’ennuyer. C’est une de ses passions. C’est un jeune plein d’envie et de fougue. Je l’ai créé tout en imperfections. Je le voulais toujours un pas à côté de ce que le monde attendrait de lui. A l’école il baille aux corneilles. Avec ses amis en société il manque d’ambition et n’a aucune envie de se saisir de « sa part du gâteau » bref… Je voulais faire de lui un ovni à prirori pour qu’à la fin du spectacle quand les spectateurs se seraient reconnu en lui, ils finissent par se dire « moi aussi je suis un ovni, et alors? c’est autorisé. C’est cool. Tout va bien. Vive la vie. »
Etre auteur et interprète cela doit demander un travail monstre ! Comment gérez-vous tout ça ?
L.C : Finalement ça ne demande pas un travail si monstre que ça. Ça demande même moins de travail puisque l’un nourrit l’autre et inversement. On va directement à l’essentiel. En revanche ça demande plus de recule. Le vrai écueil pour moi quand on raconte une histoire c’est de faire du ton sur ton. Si le texte dit rouge, l’interprète doit dire rouge foncé et la mise en scène doit dire rouge clair. Vous voyez? Faut toujours faire un pas de côté pour créer un mille feuille. C’est super dur. Faut pas tout décaler, faut être juste un millimètre à côté. D’après moi, le spectacle doit être un mille feuille pour gagner en richesse et en profondeur mais tout en gardant une unité complète pour que tout soit compacte bien ramassé autour du propos.
Du coup pour le côté compacte on gagne du temps mais le plus dur c’est le côté mille feuille. Sur ce spectacle ça m’a demandé de bien m’entourer et mon dieu que je suis bien entouré. Quelle chance j’ai ! Et puis ça m’a aussi demandé d’être un peu schyzo. Régulièrement je pensais à des metteurs en scène avec qui j’avais déjà travaillé et je me demandais dans quelle direction il ou elle m’aurait emmené et j’essayais d’explorer cette voie. J’ai beaucoup pensé à Rebecca Stella notamment. Elle m’a mis en scène dans mes deux premiers spectacles seul en scène et j’ai adoré travailler avec elle. D’ailleurs elle est venu voir le spectacle et à la sortie elle m’a glissé à l’oreille « c’est un sans faute » et le soir en y repensant j’ai pleuré. Un comédien, un auteur, un interprète, quelqu’un qui a le désir de raconter une histoire c’est comme un marin en pleine mer au milieu de la nuit. Il cherche à atteindre un rivage, il affronte des flots plus ou moins déchainés et il ne lâche jamais la barre. Pour le marin que j’étais à ce moment là, ces mots sonnaient comme un phare dans la nuit et ça m’a ému. Voilà comment j’ai travaillé, ça m’a demandé une discipline de fer et un combat permanent contre mes facilités mais j’ai adoré cette remise en question de tous les jours. Je n’avais jamais raison face à moi-même. C’est un exercice assez jouissif parce que vous vous placez constamment dans la peau d’un chercheur et vous n’avez la certitude d’avoir trouver que lorsque le public vous le dit. C’est pas très confortable mais au final beaucoup plus jouissif.
Depuis presque à peu près 15 ans vous êtes plongé dans des formations artistiques. Racontez-nous votre parcours.
L.C : Oui, je suis un éternel apprenti. Même dans la vie. J’apprends tous les jours.
Précisément pour mon parcours de comédien, j’ai suivi une formation à l’école d’art dramatique des enfants terribles à Paris.
L’une des choses qui m’a séduite dans ce premier contact avec ce métier que je ne connaissais pas, c’est la multiplicité des cordes que l’on sollicité chez moi à ce moment là. Il y avait un cours de théâtre classique, un cours de théâtre contemporain, un cours d’impro, un cours de travail à la caméra, un cours de travail sur l’organique, le corps, bref… ils ont ouvert tant de porte en moi que je me suis aussi découvert moi même au-delà de découvrir l’instrument que j’avais en moi.
Depuis je n’ai qu’une crainte c’est que cet instrument ce désaccorde. Alors je multiplie les formations, dès que je peux je fais un stage. En plus en France on a cette chance inouïe de pouvoir faire très régulièrement des stages de qualités pris en charge. C’est génial! J’ai fait du Katakali, du mime, du clown, de la capoeira, de l’impro, des claquettes, de la danse, et depuis peu je commence à effleuré de travailler le chant. J’ai peur de m’arrêter de chercher.
Le théâtre n’est pas votre seul terrain de jeu, vos performances ont été vues sur le petit et le grand écran. Quel grande différence y-a-t-il avec le théâtre ?
L.C : Ah c’est quand même plus fort le théâtre. Le sentiment du sans filet est fou, c’est une décharge d’adrénaline assez incroyable. Alors, à la télévision le direct m’a déjà emmené de ce côté là de moi-même mais c’est sans commune mesure avec le théâtre. Au théâtre vous sentez le public, vous l’entendez, il joue presque une partition de la pièce finalement, parce qu’il oriente votre jeu, même inconsciemment. Le théâtre c’est la vie. On est vivant sur une scène. Avec tout ce que ça implique de sentiment de force mais aussi de fragilité. C’est le grand huit dans le ventre pendant une heure et quart. Pour être franc j’ai parfois l’impression d’atteindre la sensation d’une trans quand je suis sur scène. Je me réveille une heure et quart après et je suis un peu étourdi comme quand on se réveille d’un rêve si fort qu’on n’est pas tout à fait sur de savoir si c’était un rêve ou la réalité. Pas avec tous les spectacles ni avec tous les rôles évidemment, mais avec celui là, c’est le cas et c’est sans comparaison.
Quel serait votre plus grand rêve en tant qu’artiste ?
L.C : Le rêve ce serait de pouvoir continuer longtemps. Evidemment certaines salles, certains metteurs en scène, certains rôles font rêver, mais le rêve ultime c’est d’avoir encore plein d’histoires à raconter, qu’on continue encore longtemps à me donner la chance de les raconter et que ces histoires continuent encore longtemps d’émouvoir le public.
Avez-vous un conseil à donner à nos membres qui rêvent de percer dans le milieu ?
L.C : Que les artistes ne perdent jamais de vue ce qui en eux nourrit leur passion pour ce métier. La véritable réussite dans ce métier réside dans la capacité à ne pas se tromper d’objectif.
Retrouvez notre article du spectacle "Voyage dans les mémoires d'un fou" : http://bit.ly/2lqOEZc
L.C : Après "Monologue pour les vivants" et "Suite Royale 2026 ", l’idée d’écrire un troisième "seul en scène" m’a tout de suite traversé l’esprit. Même si je me sens très chanceux de pouvoir travailler dans des spectacles avec d’autres comédiens, (comme sur Aladin par exemple où nous sommes 9) j’ai toujours au fond de moi un amour particulier pour cet exercice à part, en prise direct avec le public, et une irrépressible envie de dire mes propres mots.
Et comme je suis bavard, j’ai toujours quelque chose à dire. (ahah) C’était ça mon problème d’ailleurs. Le monde dans lequel on vit me secoue dans tous les sens, j’avais envie d’aborder tant de sujets qu’il me semblait difficile de trouver un axe cohérent pour donner du corps et une unité à un spectacle. Et puis, alors que tous ces sujets commençaient doucement à se côtoyer dans ma tête j’ai enfin trouver un prisme par lequel ils pourraient, de manière cohérente, s’articuler dans un même sens et pour servir un seul et même propos : " Notre monde est fou ".
L’idée m’est venu en donnant une lecture publique de « les mémoires d’un fou » de Gustave Flaubert. Tout d’un coup, tout prenait forme, il s’agissait de donner un instantané du monde en posant sur le papier les mémoires d’un personnage qui finiraient par en dire plus sur le monde dans lequel il vit que sur lui-même. C’est le mécanisme qu’emploie Flaubert dans son roman. Et c’est ça qui m’a séduit et qui m’a ouvert les yeux sur le chemin d’écriture que je devais prendre.
Le seul en scène est tellement devenu un exercice où chacun se raconte avec plus ou moins de pertinence que je trouvais la pirouette géniale. Prétexter de parler d’un personnage pour finalement parler du monde, c’est à dire du public. Ils viennent pensant regarder par le petit bout de la lorgnette la vie d’un personnage, et finalement ils se voient eux dans un effet de miroir qui les renvoie à leurs propres expériences.
Dans ce spectacle les décors, les lumières, votre jeu. Tout est mis en scène de manière très intime. Le spectateur est plongé dans votre vie privée dans votre intimité. Pourquoi ce choix ?
L.C : Alors, pas du tout. Le spectateur n’est pas du tout plongé dans ma vie privée ni dans mon intimité. Il est plongé dans l’intimité du personnage principal. C’est une nuance mais elle a une grande importance. En revanche oui, vous avez raison, tout est pensé pour créer de l’intimité. La mise en scène, le jeu, le décor, les lumières, comme vous dites. Mais pas la mienne, celle d’un personnage fictif.
Alors évidemment il y a dans ce personnage principal comme dans la dizaine d’autres personnages que j’interprète dans ce spectacle , un peu de moi, mais au même titre qu’il y a un peu de tout un tas de gens que j’ai croisé… Mes inspirations sont diverses et variées mais évidemment elles ont toutes été filtrées par ma sensibilité avant de sortir ainsi sur le papier puis sur scène.
Pourquoi le choix d’une telle intimité, pourquoi rentrer à ce point dans les failles du personnages… parce qu’il n’y a que les failles qui m’intéressent. Je ne suis pas un homme de réponses. J’ai beaucoup plus de questions en moi que de réponses. Mais c’est là qu’on les trouve les réponses, dans l’intime. Mettez un homme au pied du mur, fouillez ses entrailles, allez au fond de ses tripes et vous trouverez des réponses. C’est ce que j’ai fait avec mon personnage. Et puis c’est là qu’on trouve toutes les plus belles émotions aussi, là, à la frontière entre l’urgence et le bilan. J’ai condamné mon personnage à mort avec cette maladie pour lui donner un côté universel dans lequel chaque spectateur pourrait se reconnaitre car oui c’est incroyable de le penser comme ça mais nous sommes tous condamnés à mort, depuis notre toute première prise d’air à la maternité. Mais nous n’y pensons pas, nous vivons comme s’il y avait quoi qu’il arrive toujours un lendemain. Mais ce n’est pas une évidence. Et quand tout à coup on en prend conscience on a soudain une folle envie de vivre. Je condamne mon personnage pour que sa folle envie de vivre jaillisse avec l’espoir qu’elle soit contagieuse. Je le condamne pour me sauver à travers lui, je le condamne avec l’espoir de sauver certains spectateurs à travers lui…
Cela doit demander beaucoup de répétitions et beaucoup de concentration. Comment sont les répétitions ?
L.C : Oui c’est un spectacle exigeant. C’était voulu. Je n’aurai pas pu monter sur scène, seul, avec un tel propos, si je n’avais pas été certains de proposer une travail abouti et ciselé… En tous cas au maximum de ce que je peux et de ce que je sais faire.
C’est très particulier, limite présomptueux de monter seul sur une scène et de monopoliser l’attention des spectateurs durant plus d’une heure en ayant au fond de soi l’espoir qu’ils trouvent dans nos propos de la pertinence. Faut être à la hauteur de cette promesse. Moi, c’est mon angoisse. Je me dis que tout le reste c’est subjectif, ça plait, ça plait pas, c’est la vie et c’est surtout une histoire de rencontre entre mon univers et celui du spectateur; Mais toute la partie objective, le travail, là-dessus je n’ai pas le droit à l’erreur. Je dois sortir de scène chaque soir en étant convaincu que j’ai donné le meilleur de moi même, dans le jeu, dans la mise en scène, dans l’écriture. Et puis c’est aussi une manière pour moi de me dire que je suis à la hauteur du travail des autres protagonistes de ce spectacle, Johanna Dilolo aux lumières, Lucien Pesnot aux musiques, Sylviane Bauer-Motti aux chorégraphies. J’ai la hantise de trahir la confiance de tous ceux là. J’ai besoin d’être le plus exigeant possible avec moi-même pour être sûr de trouver dans ce travail et cette exigence une toute petite once de légitimité à proposer ce que je propose.
Du coup les répétitions sont studieuses et drôles. J’ai besoin de me marrer pour exorciser, alors j’évacue tout par la vanne. On se marre beaucoup avec Flavie Silvestre qui m’aide pour la direction d’acteur. Elle est ce qu’on appelle au théâtre mon troisième oeil. J’adore cette expression. J’aime l’idée qu’elle soit mon regard extérieur, qu’elle me guide à chaque endroit où je me sens aveugle.
D’ailleurs je profite de ce moment où j’évoque cela pour saluer Slimane Kacioui, Laura Bensimon et Emilie Le Canu qui ont tous les trois tour à tour donné de leur vista et de leurs talents pour me guider au moment de la création du spectacle.
Parlez-nous de ce personnage que vous interprétez.
L.C : C’est étrange de parler de lui. D’ailleurs c’est drôle on ne me le demande jamais. On me parle de tous les autres personnages qui prennent vie dans sa mémoire, tous ces autres personnages que j’interprète et qui sont drôles et croustillants et qui sont souvent des caricatures avec des accents etc… Mais lui qui touche à la vérité et à la poésie on ne m’en parle jamais. Je l’aime. Il est tout ce que ce monde bannit et en le créant je lui ai autorisé à être tout cela sans complexe. Je lui ai autorisé tout ce que je ne m’autorise pas. Je l’ai créé de toutes pièces. Je l’ai voulu en décalage total avec ce que le monde plein de clichés aurait attendu de lui à priori. Il a une vingtaine d’année et il est poète, il aime les mots, il en joue tant et tant qu’il s’amuse aussi de jeux de mots drôles. Il aime rire, il aime observer, il aime prendre sont temps et par dessus tout il adore s’ennuyer. Aujourd’hui on a plus le droit de s’ennuyer. C’est même mal vu, ça a un caractère négatif. Faut toujours avoir quelque chose à faire. Faut toujours avoir un écran devant les yeux. Lui il adore s’ennuyer. C’est une de ses passions. C’est un jeune plein d’envie et de fougue. Je l’ai créé tout en imperfections. Je le voulais toujours un pas à côté de ce que le monde attendrait de lui. A l’école il baille aux corneilles. Avec ses amis en société il manque d’ambition et n’a aucune envie de se saisir de « sa part du gâteau » bref… Je voulais faire de lui un ovni à prirori pour qu’à la fin du spectacle quand les spectateurs se seraient reconnu en lui, ils finissent par se dire « moi aussi je suis un ovni, et alors? c’est autorisé. C’est cool. Tout va bien. Vive la vie. »
Etre auteur et interprète cela doit demander un travail monstre ! Comment gérez-vous tout ça ?
L.C : Finalement ça ne demande pas un travail si monstre que ça. Ça demande même moins de travail puisque l’un nourrit l’autre et inversement. On va directement à l’essentiel. En revanche ça demande plus de recule. Le vrai écueil pour moi quand on raconte une histoire c’est de faire du ton sur ton. Si le texte dit rouge, l’interprète doit dire rouge foncé et la mise en scène doit dire rouge clair. Vous voyez? Faut toujours faire un pas de côté pour créer un mille feuille. C’est super dur. Faut pas tout décaler, faut être juste un millimètre à côté. D’après moi, le spectacle doit être un mille feuille pour gagner en richesse et en profondeur mais tout en gardant une unité complète pour que tout soit compacte bien ramassé autour du propos.
Du coup pour le côté compacte on gagne du temps mais le plus dur c’est le côté mille feuille. Sur ce spectacle ça m’a demandé de bien m’entourer et mon dieu que je suis bien entouré. Quelle chance j’ai ! Et puis ça m’a aussi demandé d’être un peu schyzo. Régulièrement je pensais à des metteurs en scène avec qui j’avais déjà travaillé et je me demandais dans quelle direction il ou elle m’aurait emmené et j’essayais d’explorer cette voie. J’ai beaucoup pensé à Rebecca Stella notamment. Elle m’a mis en scène dans mes deux premiers spectacles seul en scène et j’ai adoré travailler avec elle. D’ailleurs elle est venu voir le spectacle et à la sortie elle m’a glissé à l’oreille « c’est un sans faute » et le soir en y repensant j’ai pleuré. Un comédien, un auteur, un interprète, quelqu’un qui a le désir de raconter une histoire c’est comme un marin en pleine mer au milieu de la nuit. Il cherche à atteindre un rivage, il affronte des flots plus ou moins déchainés et il ne lâche jamais la barre. Pour le marin que j’étais à ce moment là, ces mots sonnaient comme un phare dans la nuit et ça m’a ému. Voilà comment j’ai travaillé, ça m’a demandé une discipline de fer et un combat permanent contre mes facilités mais j’ai adoré cette remise en question de tous les jours. Je n’avais jamais raison face à moi-même. C’est un exercice assez jouissif parce que vous vous placez constamment dans la peau d’un chercheur et vous n’avez la certitude d’avoir trouver que lorsque le public vous le dit. C’est pas très confortable mais au final beaucoup plus jouissif.
Depuis presque à peu près 15 ans vous êtes plongé dans des formations artistiques. Racontez-nous votre parcours.
L.C : Oui, je suis un éternel apprenti. Même dans la vie. J’apprends tous les jours.
Précisément pour mon parcours de comédien, j’ai suivi une formation à l’école d’art dramatique des enfants terribles à Paris.
L’une des choses qui m’a séduite dans ce premier contact avec ce métier que je ne connaissais pas, c’est la multiplicité des cordes que l’on sollicité chez moi à ce moment là. Il y avait un cours de théâtre classique, un cours de théâtre contemporain, un cours d’impro, un cours de travail à la caméra, un cours de travail sur l’organique, le corps, bref… ils ont ouvert tant de porte en moi que je me suis aussi découvert moi même au-delà de découvrir l’instrument que j’avais en moi.
Depuis je n’ai qu’une crainte c’est que cet instrument ce désaccorde. Alors je multiplie les formations, dès que je peux je fais un stage. En plus en France on a cette chance inouïe de pouvoir faire très régulièrement des stages de qualités pris en charge. C’est génial! J’ai fait du Katakali, du mime, du clown, de la capoeira, de l’impro, des claquettes, de la danse, et depuis peu je commence à effleuré de travailler le chant. J’ai peur de m’arrêter de chercher.
Le théâtre n’est pas votre seul terrain de jeu, vos performances ont été vues sur le petit et le grand écran. Quel grande différence y-a-t-il avec le théâtre ?
L.C : Ah c’est quand même plus fort le théâtre. Le sentiment du sans filet est fou, c’est une décharge d’adrénaline assez incroyable. Alors, à la télévision le direct m’a déjà emmené de ce côté là de moi-même mais c’est sans commune mesure avec le théâtre. Au théâtre vous sentez le public, vous l’entendez, il joue presque une partition de la pièce finalement, parce qu’il oriente votre jeu, même inconsciemment. Le théâtre c’est la vie. On est vivant sur une scène. Avec tout ce que ça implique de sentiment de force mais aussi de fragilité. C’est le grand huit dans le ventre pendant une heure et quart. Pour être franc j’ai parfois l’impression d’atteindre la sensation d’une trans quand je suis sur scène. Je me réveille une heure et quart après et je suis un peu étourdi comme quand on se réveille d’un rêve si fort qu’on n’est pas tout à fait sur de savoir si c’était un rêve ou la réalité. Pas avec tous les spectacles ni avec tous les rôles évidemment, mais avec celui là, c’est le cas et c’est sans comparaison.
Quel serait votre plus grand rêve en tant qu’artiste ?
L.C : Le rêve ce serait de pouvoir continuer longtemps. Evidemment certaines salles, certains metteurs en scène, certains rôles font rêver, mais le rêve ultime c’est d’avoir encore plein d’histoires à raconter, qu’on continue encore longtemps à me donner la chance de les raconter et que ces histoires continuent encore longtemps d’émouvoir le public.
Avez-vous un conseil à donner à nos membres qui rêvent de percer dans le milieu ?
L.C : Que les artistes ne perdent jamais de vue ce qui en eux nourrit leur passion pour ce métier. La véritable réussite dans ce métier réside dans la capacité à ne pas se tromper d’objectif.
Retrouvez notre article du spectacle "Voyage dans les mémoires d'un fou" : http://bit.ly/2lqOEZc
